Les experts-comptables à l’heure de l’économie collaborative

A une époque où la profession d’expert-comptable est en plein questionnement sur son avenir, et où les cabinets prennent conscience qu’il faut se renouveler et se consacrer à d’autres missions à forte valeur ajoutée, le gagnant du concours Top Départ, Cyril Degrilart, propose un projet inédit.

Une solution alternative à l’exercice illégal de la profession qui a pour but de permettre aux experts-comptables, de trouver des ressources et de se décharger des tâches à faible valeur ajoutée.

“Cette nouvelle économie est également perçu comme un complément du catalogue “historique”, et permet aux professionnels des métiers de se recentrer sur des services à plus haute valeur ajoutée”

Depuis quelques années, l’économie collaborative et ses nouvelles formes d’organisations se développent et font fleurir les plateformes en tous genres.

Cet engouement est tel qu’il commence à inquiéter l’administration fiscale, mais aussi les entreprises ou encore les cabinets d’expertise comptable. Ces dernières y voient une forme de concurrence.

Jusqu’à présent, l’expertise comptable n’était pas bouleversée par ce phénomène. Rencontre avec Cyril Degrilart, gagnant du concours Top Départ pour son projet de plateforme de mise en relation dans le domaine.

  • Présentation

Cyril Degrilart est expert-comptable et commissaire aux comptes, diplômé en novembre 2012. Il a créé sa structure d’exercice professionnel en mai 2013. Le cabinet s’est fortement développé et compte aujourd’hui six collaborateurs. En 2016, Cyril Degrilart présente son tout nouveau projet, dans le cadre du concours Top Départ, organisé par le CJEC et Intuit Quickbooks. Il en obtient le 1er prix.

En savoir plus sur le concours Top Départ

  • Votre projet est une parfaite illustration des nouvelles plateformes de l’économie collaborative. Comment vous est venue cette idée ?

Je suis parti d’un constat qui est le fait que les experts-comptables, aujourd’hui, doivent se renouveler. Les experts-comptables, il faut leur apporter une solution à ce temps incompressible de saisie comptable, à ce temps incompressible de travail de niveau 1, j’ai envie de dire.

Un expert-comptable, il a tellement d’autres choses à faire – dans sa relation avec ses clients –  le respect des règles comptables, fiscales et sociales, le conseil stratégique de création et de développement… Et il doit faire autre chose. Il fallait donc lui trouver une solution. Et parallèlement à cela, en tant que formateur DCG / DSCG, je côtoie un nombre important d’étudiants qui veulent travailler et se faire de l’argent de poche. Bien sûr, ceux-ci travaillent déjà, ils ont des emplois, des “jobs étudiants””. Ils travaillent, ils ont des emplois, des petits emplois d’étudiants.

Je me suis dit, pourquoi pas les faire travailler dans leur domaine, qui est le domaine administratif et comptable, plutôt que de les faire travailler dans des activités qui ne sont pas du tout leur cœur de métier.

Il y a donc des experts-comptables qui ont besoin de ressources pour travailler sur les activités à faible valeur ajoutée pour créer de la valeur dans leurs travaux, et d’autres part une force vive qui souhaite travailler. Bien sûr, le problème est qu’un étudiant en comptabilité ne peut pas se mettre à son compte en travaillant directement pour le client ! Néanmoins, il peut tout à fait être indépendant et travailler en direct avec un expert-comptable.

  • En quoi consiste votre projet ?

Du coup, l’idée, c’est de monter une plateforme collaborative, une plateforme e-commerce, une « marketplace » qui met en relation des experts-comptables qui veulent travailler dans la comptabilité, des personnes qui ont envie de se délester de cette saisie comptable et potentiellement des clients, qui souhaitent participer à cette économie collaborative, pour justement traiter leur comptabilité, sous la responsabilité d’un expert.

Cette plateforme collaborative est un cabinet d’expertise comptable. C’est obligatoire, pour avoir ces « jobbers » qui sont indépendants, autoentrepreneurs etc. C’est aussi obligatoire que ces auto entrepreneurs soient dépendants d’un cabinet d’expertise comptable. La marketplace, le site, est donc un cabinet d’expertise comptable inscrit au Tableau de l’Ordre des Experts-comptables.

Je suis donc vraiment parti de ce principe-là : un besoin de travail, un besoin de travail en local, à Paris, dans les régions. Il y a des personnes qui veulent travailler. Il y a des étudiants. Il y a des chômeurs. Il y a des personnes qui bossent à 35 heures dans les entreprises et qui ont envie de travailler un peu plus. Si ces personnes ont une appétence pour la comptabilité, faisons les travailler dans la comptabilité, dans leur cœur de métier.

  • Vous allez créer une plateforme de mise en relation. Quel sera son mode de fonctionnement ?

La plateforme va être simple, quelque part. Il y a trois catégories de personnes à faire se rencontrer : un client, un expert-comptable et un jobber. La plateforme, finalement, va mettre en relation toutes ces personnes, via un dispositif qui peut s’apparenter à « Uber », à « Airbnb » etc. Je n’ai pas peur de le dire : notre plateforme doit ressembler à cela !

On va chercher une personne qui est géographiquement proche de nous… ou pas si l’on préfère ! Un expert-comptable va chercher une personne qui a peut-être des compétences spécifiques. Un client va choisir un expert-comptable etc. Cette plateforme est en cours de création. C’est un projet fou, que je partage aujourd’hui avec l’un de mes associés Thomas Caouren, avec qui je travaille depuis quelques années sur de nombreux projets. La plateforme, telle qu’elle est imaginée aujourd’hui, est née de la fusion de nos deux idées, de nos deux visions.

  • Quels travaux seront confiés aux particuliers qualifiés en comptabilité ?

L’objectif encore une fois, est que l’expert-comptable puisse se délester de ses travaux à faible valeur ajoutée. Car les jobbers ne veulent pas un travail qui demande des compétences extrêmes. Ça, c’est pour l’expert-comptable. Et tous les jobbers sont d’accord pour le dire.

Le jobber fera un travail de faible valeur ajoutée qui sera son gagne pain, son argent de poche, le petit argent en plus. Ce sont donc les activités en plus qu’un expert-comptable pourrait donner à son stagiaire, son étudiant de Bac pro ou de BTS.
Et après, selon les compétences du jobber, pourquoi pas se mettre en relation plus durable. Personnellement, je serais ravi qu’un jobber trouve un travail grâce à la plateforme, un CDI ou autre dans un cabinet.

  • Comment seront sélectionnées ces personnes ? Est-ce qu’il y aura un moyen de vérifier leurs compétences ?

Bien sûr. La compétence, dans un premier temps, c’est par le diplôme, tout simplement. On aura donc différents niveaux, en fonction de chaque diplôme obtenu par la personne et en fonction de l’expérience qu’elle pourrait avoir. Ensuite, il y aura des tests, pour vérifier l’appétence de la personne. Car la personne ne doit pas être la spécialiste de la comptabilité. Ce n’est pas ce qu’on lui demande.

Par contre, c’est une personne qui doit être dans l’esprit de la plateforme collaborative et un peu comment un chauffeur « Uber » aujourd’hui. Un chauffeur « Uber », ce n’est pas le cador du chauffeur, c’est celui qui a de la courtoisie, qui respecte des règles, qui respecte des valeurs. Et du coup, ce jobber devra respecter des règles. Il devra respecter une déontologie et ça c’est très important. Ce jobber respecte une déontologie stricte comme un expert-comptable.

  • Quel sera le rôle de votre cabinet d’expertise comptable créé en 2013 ?

Aujourd’hui notre cabinet d’expertise comptable historique, réalise notamment des missions d’expertise comptable, même s’il fait plein d’autres choses. Alors que la plateforme collaborative, c’est une start up. C’est un second cabinet d’expertise comptable, en mode start up. Donc c’est un autre mode de fonctionnement, qui n’a rien à voir.

Le cabinet d’expertise comptable a pour vocation de vivre comme un cabinet d’expertise comptable, avec tout le côté dématérialisation etc. mais cela reste un cabinet d’expertise comptable. La plateforme collaborative est une start-up de mise en relations. Ce sont donc vraiment deux sociétés à part entière, deux projets menés différemment.

La plateforme sera bien évidemment ouverte à tous les experts-comptables car la clé, c’est d’avoir des experts-comptables dans toute la France, du contact. Car ce n’est pas le jobber qui va aller discuter avec le client, c’est l’expert-comptable qui est le maître du dossier. Ni la plateforme, ni le jobber. L’expert-comptable sera au centre de la relation, qui va parler à son client et qui a besoin de ressources.

C’est une solution qui pourra convenir aux jeunes experts-comptables qui s’installent et qui ne peuvent pas encore embaucher leur premier salarié. Lorsqu’il a besoin d’une personne deux heures par jour, une heure par semaine. Ce sont des problématiques communes aux jeunes experts-comptables. Ils ont besoin de ressources, mais pas encore d’un salarié à temps plein.
Le but est de donner de la ressource.

  • La déontologie des experts-comptables n’est-elle pas un obstacle ? Et qu’en est-il de l’exercice illégal de la profession ?

Absolument pas. La déontologie, c’est un pilier de la plateforme collaborative. Ce n’est absolument pas un frein. L’objectif est de respecter à la lettre la déontologie de l’ordre des experts-comptables. Un jobber ne peut travailler qu’avec un expert-comptable et respecter une déontologie stricte.

Un des grands principes de la plateforme collaborative, c’est de tuer l’exercice illégal de la profession. On souffre dans les cabinets de cet exercice illégal et c’est une catastrophe à moyen terme, surtout pour le client. La plateforme peut servir à légaliser les illégaux.

  • Vous venez de gagner 10 000€ dans le cadre du concours Top Départ, organisé par le CJEC et Intuit Quickbooks. Quel est votre ressenti par rapport à ce concours ?

Je remercie toute l’équipe qui a organisé ce concours, Stone de Souza et l’équipe d’Intuit, Véronique Deschamps, David Ladame et son équipe pour le CJEC. Tout le monde a été très présent à chaque étape de ce concours. Ce concours entre parfaitement dans les objectifs du CJEC qui est d’aider l’expert-comptable à créer ou reprendre un cabinet. J’ai été ravi de participer au concours Top départ et je suis également ravi de l’annonce d’une reconduction du concours l’année prochaine.

La comm’ est un job à part entière auquel l’expert-comptable n’a pas l’habitude de participer. Un expert-comptable ne fait pas de vidéo. Un expert-comptable ne communique pas sur les réseaux sociaux à la quête de « likes ».  C’était un vrai job, un vrai challenge à part entière. Monter une vidéo, mettre de la musique, mettre des images, mettre un texte, mettre un message fort et le communiquer, le diffuser sont des choses que l’expert-comptable fait peu. C’est un véritable plan de communication.

J’ai été très agréablement surpris de cette expérience. Ce concours va potentiellement changer ma manière de voir les choses et d’appréhender la communication.

L’expérience vaut le coup quoi qu’il arrive, peu importe qu’on soit 1er ou dernier. Car la première étape, c’est de faire un business plan, une présentation de son projet, de ses objectifs. La seconde étape consiste à faire un plan de communication. Je suis donc totalement d’accord avec David Ladame, lorsqu’il dit que les dix finalistes, ont tous gagné, ne serait-ce que parce qu’ils ont eu cette expérience riche de prendre le risque de participer à un jeu concours !

15 janvier 2016

Entretien de Cyril Degrilart, gérant du Cabinet DEGRILART

Réalisée avec la collaboration de Sandra Schmidt, rédactrice en chef Compta Online

Egalement disponible à l’adresse suivante :

http://cjec.anecs-cjec.org/Le-Blog/Partenaires/Les-experts-comptables-a-l-heure-de-l-economie-collaborative