Fiscalité du e-commerce : actualités et mises en pratique en France

Le e-commerce constitue un canal de distribution en forte croissance pour nos clients. A titre d’exemple, malgré un contexte économique de consommation ralentie, le chiffre d’affaires de la vente en ligne a progressé de 14 % en 2015 par rapport à l’exercice précédent et représente plus de 70 milliards aujourd’hui.

Il en résulte donc une opportunité de conseils majeure pour les professionnels du chiffre, notamment au niveau du respect de la législation fiscale. Le professionnel e-commerçant entre dans la fiscalité du XXIe siècle. Il s’affranchit des frontières géographiques, propose ses produits et/ou ses services à des particuliers ou à des entreprises dans le monde entier.

Les entreprises du e-commerce sont essentiellement composées de TPE de moins de 10 salariés. Ne connaissant potentiellement par les spécificités et les risques fiscaux de ce canal, elles sont donc en besoin fort d’informations et de conseils de la part de leur expert-comptable.

Il est tout d’abord important de connaître les recommandations de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique) en matière de e-commerce, ainsi que leur mise en pratique pour l’exercice 2017.

Recommandations de l’OCDE en pratique en 2017

L’OCDE se penche depuis quelques années sur le renforcement de la sécurité fiscale lié au marché électronique. Etudions quelques points pratiques liés au projet BEPS “Erosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices“.

Principes du projet BEPS et impacts pour l’expert-comptable

L’objectif principal du projet est de neutraliser les bénéfices liés à l’utilisation de failles permettant de profiter des règles fiscales différentes entre les pays, sans y exercer d’activité réelle. Plus d’une centaine de pays et de juridictions travaillent actuellement en collaboration sur ce cadre inclusif.

L’expert-comptable doit prendre connaissance des 15 actions proposées par le projet BEPS, afin de conseiller au mieux son client e-commerçant dans son développement à l’international. Il l’alertera notamment sur la correcte déclaration des bénéfices et éventuellement de la TVA, dans le pays où l’activité économique est réellement réalisée.

Focus sur l’Action 7 “Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable“[1]

L’OCDE s’est penchée sur la définition d’un établissement stable, car il s’agit d’un élément permettant de localiser l’Etat dans lequel affecter les bénéfices réalisés. L’objectif est concrètement de neutraliser les stratégies d’évasion fiscale pour bénéficier frauduleusement d’une fiscalité plus favorable.

L’expert-comptable doit s’assurer que son client réalisant des ventes en ligne ne réalise pas une stratégie visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable, ou au contraire qu’il ne déclare pas un établissement stable dans un Etat où n’exerce qu’une activité accessoire ou auxiliaire.

 Prenons la situation pratique suivante :

Le portefeuille de Monsieur Z., expert-comptable, contient l’entité suivante : la société française ALPHA réalise des prestations de service en ligne pour des clients européens. Cette entité dispose éga­lement d’un serveur web, localisé en Irlande, hébergeant le site web de la société. Dans les locaux de ce serveur sont réalisés des services de publicité en ligne, ainsi que de la fourniture d’information. La société ALPHA souhaite que le serveur web irlandais soit identifié comme un établissement stable.

  1. Monsieur Z. précise au client que le serveur hébergeant le site web de l’entreprise ne peut constituer un établissement stable.
  2. Monsieur Z. indique également que les services de publicité et le traitement d’information entrent dans le cadre des activités préparatoires et auxiliaires, ne permettant pas d’authentifier le serveur comme établissement stable.
  3. Monsieur Z. alerte le client sur sa stratégie d’évitement entraînant l’érosion de sa base d’imposition et le transfert des bénéfices.

L’expert-comptable veillera également à éviter à son client, la constitution d’une entité juridique immatriculée dans un Etat étranger plus favorable, comme les Pays-Bas ou les Emirats arabes unis, mais dirigée au départ de la France, auquel cas cette société incorporée à l’étranger possèderait de facto un établissement stable en France.

Pratiques d’utilisation du Mini Guichet de TVA dans les structures d’exercice professionnel

Les travaux fiscaux en matière déclarative font partie des activités menées traditionnellement par les structures d’exercice professionnel. Dans le cadre de la vente en ligne, le professionnel du chiffre réalisera une partie de ses déclarations de TVA via le Mini Guichet de TVA (ou MOSS – “mini one-stop shop“).

Depuis le 1er janvier 2015, le taux de TVA applicable pour les services de télécommunication, de radiodiffusion et de télévision ou des services électroniques, à destination de particuliers domiciliés dans l’Union européenne, est le taux du preneur, soit le taux de l’acheteur.

Le Mini Guichet de TVA a pour objectif de déclarer la TVA de ces activités, via un portail unique qui simplifie les formalités. Le professionnel est dispensé de l’obligation d’identifier son client e-commerçant dans chaque état membre pour déclarer et payer la TVA correspondante, si la société n’est pas établie dans cet état membre.

Identifier les activités concernées par le Mini Guichet de TVA

Deux étapes sont à réaliser pour identifier les clients, acheteurs non professionnels, agissant à titre privé, concernés par le Mini Guichet MOSS de TVA.

Etape 1 : le professionnel distingue les trois typologies de ventes suivantes :

  • ventes de biens faisant l’objet d’une commande en ligne, puis donnant lieu à une livraison physique ;
  • ventes utilisant le réseau comme un moyen de livraison dématérialisée en temps réel ;
  • ventes de prestations de service en ligne.

Seules les ventes de prestations de service en ligne sont concernées par le Mini Guichet de TVA, et en particulier les services suivants :

Services concernés

Exemples de services

Services de télécommunication Téléphonie, fourniture d’accès à internet…
Services de radiodiffusion et de télévision Retransmissions en direct, diffusion de programmes audiovisuels…
Services électroniques Vidéo à la demande, téléchargement de musiques ou d’applications mobiles, enchères sur internet…

Etape 2 : le professionnel analyse l’assujettissement des clients du professionnel e-commerçant.

S’il réalise des prestations de services par voie électronique à des personnes non assu­jetties au sein de l’Union européenne, le Mini Guichet de TVA est à utiliser.

Déclarer et régler la TVA sur le Mini Guichet MOSS

La déclaration et le règlement de la TVA sont réalisés selon le processus suivant :

Etape 1 : inscription au Mini Guichet, en amont de la première déclaration

L’inscription est réalisée à partir de l’espace professionnel du professionnel e-commer­çant, dans la rubrique “Accéder au mini-gui­chet TVA UE“.

Remarque : la structure d’expertise comptable doit être vigilante sur ce point, car l’inscription ne devient effective qu’à partir du premier jour du trimestre suivant la demande d’inscription.

Etape 2 : déclaration de la TVA

La déclaration de TVA est trimestrielle. Elle doit être réalisée au plus tard le 20e jour du mois suivant le trimestre, sans report si ce jour est un samedi, un dimanche ou un jour férié[2].

Si aucune prestation n’est réalisée au cours du trimestre, il est nécessaire de déclarer la TVA à néant.

Remarque : la structure d’expertise comptable doit porter une vigilance particulière sur la réception des informations comptables et financières en amont. En effet, la date limite de déclaration et la date limite de paiement sont identiques. Compte tenu des différents aléas, il paraît donc prudent de retenir une date limite de déclaration entre le 10e et le 15e jour du mois suivant le trimestre écoulé.

Etape 3 : paiement de la TVA

Le paiement de la TVA est réalisé par virement bancaire à l’IBAN FR76 3000 1000 6449 3200 9365 318. Le motif de l’opération doit impérativement mentionner le numéro de référence de la déclaration de TVA, fourni dans l’accusé de réception.

Remarque : la structure d’expertise comptable doit porter une attention particulière à la date limite de paiement fixée au 20e jour suivant le trimestre écoulé. Effectivement, la date prise en compte est la date de valeur du paiement sur le compte de la Banque de France. Il paraît prudent de retenir une date limite de paiement bien en amont de la limite de paiement, afin d’éviter les pénalités de paiement tardif.

Impacts du Mini Guichet sur la déclaration de TVA française

Les opérations inscrites dans le MOSS font partie du chiffre d’affaires du professionnel e-commerçant, même si elles ne sont pas imposables en France.

Le montant du chiffre d’affaires correspondant aux prestations de services en lignes concernées est à reporter sur la ligne “Autres opérations non imposables“, cadre A et ligne 3 de la déclaration de TVA CA3 française.

Le professionnel du chiffre conseille les entreprises dont l’objet social est de vendre ses produits et services sur internet, mais aussi ses clients qui souhaitent entrer en toute sécurité dans ce nouveau canal. A ce titre, l’expert-comptable veille à la bonne conception du site internet actif et à ses impacts fiscaux potentiels.

Rôle de l’expert-comptable

Lors de la conception du site internet, l’expert-comptable analyse les risques potentiels en matière comptable, fiscale et juridique, afin de garantir la sécurité des flux liée à l’automatisation du système d’information. Il travaille ainsi en collaboration avec le concepteur du site internet, chargé de la partie technique du site internet actif. Ces risques ne concernent pas uniquement le MOSS mais toutes les opérations visées par la TVA. Pour rappel, le MOSS est uniquement relatif aux prestations identifiées dans le tableau ci-contre.

Impacts fiscaux à anticiper en matière de TVA lors de la création du site

Lors d’une opération de vente sur internet, l’acheteur potentiel doit avoir, en temps réel, une visibilité sur le prix “toutes taxes comprises“ qu’il va potentiellement payer.

Le prix de vente peut ainsi varier de manière significative du fait :

  • de l’application du taux de TVA du vendeur ou du preneur ;
  • de l’exonération potentielle de la TVA, dans le cadre d’une vente à l’export ou d’une livraison intracommunautaire.

Etudions les impacts fiscaux et l’utilisation du système d’information du site internet par le biais de deux situations pratiques.

Situation pratique n° 1 : vente de prestations de service en ligne de télécommunication

Pour cette typologie de ventes, la TVA du preneur est applicable dans le cas où celui-ci est une personne physique.

La qualité du preneur en tant que personne physique ou morale est identifiée au moment de l’inscription, lors du renseignement de la fiche client.

Le professionnel valide les champs obligatoires à faire figurer sur la fiche d’inscription client, afin d’obtenir tous les éléments nécessaires à la définition du taux de TVA. Par ailleurs, l’expert-comptable valide également que la base de données permettra de générer en aval une facturation électronique respectant l’ensemble des mentions obligatoires.

La localisation du preneur permettant l’affectation du correct taux de TVA peut être réalisée selon plusieurs sources cumulatives :

Géolocalisation du preneur

Adresse de facturation

Adresse de livraison

Pays de la carte bancaire

Informations géographiques de l’adresse IP

 

Les informations collectées automatiquement permettent d’identifier la provenance du preneur et d’appliquer le taux de TVA correspondant, et donc de faire varier en temps réel le prix TTC du catalogue. Ce processus relève d’un arbre décisionnel efficace à mettre en place.

Par ailleurs, le professionnel rappellera à son client e-commerçant qu’il est le responsable du taux de TVA qu’il applique sur sa facturation. Il ne peut exister une règle par défaut qui impliquerait que, dans le doute, la TVA du lieu du prestataire soit d’office applicable. Si cette règle est sécurisante pour le e-commerçant français, elle ne correspond pas aux obligations TVA européenne.

Par ailleurs, le remaniement de la Directive Telecom en 2018 modifiera probablement les principes d’autorisation de géolocalisa­tion de l’acheteur.

 Situation pratique n° 2 : livraison de biens intracommunautaire au bénéfice d’un assujetti, suite à une commande en ligne

La règle de territorialité suggère une exonération de la vente en matière de TVA si :

  • le bien est expédié ou transporté hors de France à destination d’un autre État membre de l’Union européenne ;
  • le numéro d’identification intracommunautaire à la TVA de l’acquéreur est valide (VIES) au moment de l’opération.

La localisation du preneur peut se faire à la fois selon les sources citées précédemment, mais également à partir du numéro d’identification intracommunautaire.

Ce numéro doit donc impérativement être validé en temps réel au moment du potentiel acte d’achat, puisqu’il en résulte une potentielle exonération de la TVA et donc une potentielle variation significative des montants TTC du catalogue en ligne.

L’expert-comptable rappellera que la validation du numéro de TVA peut être réalisée via l’application VIES, disponible sur le site internet suivant :

http://ec.europa.eu/taxation_customs/vies/ vieshome.do?locale=fr

Le professionnel alertera le concepteur du site sur le fait que le système d’information de la boutique en ligne doit permettre de valider en temps réel, lors de chaque opération potentielle, le numéro de TVA  de l’acheteur, afin de respecter les règles de territorialité.  Par ailleurs, le professionnel du chiffre doit anticiper la collecte des informations dont il aura besoin, pour justifier l’exonération TVA et réaliser les différentes déclarations fiscales.

Automatiser la production des données fiscales via la boutique en ligne ?

Au-delà de la vérification des aspects juridiques liés à la collecte des données personnelles des clients de la boutique en ligne, l’expert-comptable valide la partie du cahier des charges fonctionnelles du site internet concernant les extractions des informations fiscales.

Ainsi, le professionnel peut obtenir une information qualifiée à partir du système de gestion en ligne sur les aspects fiscaux suivants :

  • montant de la TVA collectée sur les ventes ;
  • montant de la TVA intracommunautaire liée aux ventes ;
  • montant de la TVA déductible liée au commissionnement du porte-monnaie électronique ;
  • informations relatives à la déclaration d’échange de biens/déclaration européenne de services…

***

L’expert-comptable reste plus que jamais le bras droit de l’entrepreneur souhaitant se développer dans le canal e-commerce. Le conseil en matière fiscale constitue une source stratégique d’information et permet de préserver la sécurité économique du client. Le professionnel a également un rôle important à jouer dans la sécurisation du système d’information de l’e-commerçant, notamment au niveau des flux comptables générés par l’activité de la boutique en ligne et des spécificités juridiques à appliquer sur internet. Le canal e-commerce nécessitant également des compétences techniques, marketing et informatiques pointues, l’expert-comptable pourra développer une offre full service et faire appel à des partenaires expérimentés dans ces domaines.

[1] Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable, Action 7“, OCDE, Rapport final 2015, Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, Éditions OCDE, Paris, http://dx.doi.org/10.1787/9789264255227-fr

[2] Le site internet de l’administration fiscale propose une description précise de la déclaration de TVA via le Mini Guichet à l’adresse suivante : http://www2. impots.gouv.fr/e_service_pro/tva_miniguichet/moss.Html

Rédigé par  Cyril Degrilart en collaboration avec  Jean-Pierre Riquet

Article issu de la Revue Française de Comptabilité, N° 506, Février 2017, p30-32