L’IA nous oblige à nous réinventer, mais ce n’est pas la première fois!

Aux UE 2018, le LAB50, l’observatoire qui explore le futur des métiers du chiffre créé par la CRCC de Paris et l’OEC Paris Ile de France, organisait son 1er évènement sous forme de Tribunal pour les générations futures. Au cours de celui-ci les jurés et le public ont été invités à répondre à la problématique suivante : « L’obsolescence des professions du chiffre est-elle programmée ? »

Cyril Degrilart est chef de projet du Lab50. Ce passionné de nouvelles technologies est convaincu que l’intelligence artificielle est destinée à augmenter la valeur du professionnel du chiffre.


Quelle est la « raison d’être du Lab50 » ?

Créé conjointement par l’OEC Paris IDF et la Compagnie des commissaires aux comptes de Paris, le Lab50 réunit l’ensemble des professionnels du
chiffre et vise à étudier, à analyser et à identifier le potentiel considérable de l’IA pour la profession. Il permet de prendre toute la mesure de l’impact
de l’IA chez les experts-comptables et les commissaires aux comptes en s’ouvrant à d’autres savoirs – data scientists, anthropologues, philosophes, avocats…
L’objectif est de leur apporter un socle, de les acculturer sur cette problématique essentielle… et de les rassurer. Le Lab50 leur propose des solutions concrètes, notamment des formations pour comprendre l’IA et apprendre à s’en servir, ainsi que des articles très concrets synthétisant les recherches des commissions. Il leur permet aussi de savoir ce qui se passe dans le monde de l’IA de façon générale, et dans les professions du chiffre
à l’étranger, tout en évitant l’entre-soi, le vase clos franco-français.

Quel est le rôle respectif de ses quatre commissions ?

• La commission Clients analyse la valeur du professionnel du chiffre, avant et après avènement de l’IA. Elle l’aide à comprendre comment sa valeur
réelle et perçue va augmenter grâce à une bonne utilisation de l’IA.
• La commission Éthique réfléchit à l’évolution de la déontologie et de la réglementation professionnelle face à l’IA. Par exemple : l’IA et le secret professionnel.
• La commission Technologie examine tout particulièrement les questions relatives aux nouveaux outils, à la sécurité et à la protection des données.
• La commission Prospective internationale décrypte ce qui se passe dans les autres pays pour la profession, notamment chez les CPA canadiens.

Quel regard portez-vous sur l’avenir de la profession ?

Ma conviction est que la profession a un avenir formidable. Elle a toujours eu un rôle majeur, à savoir garantir la qualité et sécuriser l’information financière. Elle s’est toujours adaptée, elle a toujours bénéficié des évolutions nécessaires, et cela va continuer. Elle sait se réinventer, notamment parce qu’elle se forme et s’informe, acquiert en permanence de nouvelles compétences, se met constamment à jour. Les discours alarmistes ont néanmoins du bon parce qu’ils mettent en évidence l’ampleur
des changements en cours et contribuent à une vraie prise de conscience collective de la nécessité de se transformer. La profession a maintenant pris
conscience de l’importance de la transition numérique et de l’arrivée de l’IA, même si la mise en production en est encore à ses débuts, et si certains
confrères sont dans la phase d’anxiété.

Quelle place pour l’humain à l’heure de la machine omniprésente et intelligente ? 

La profession du chiffre repose sur deux volets : la technicité et l’accompagnement humain. Il faut un accompagnement humain pour piloter son entreprise, l’IA n’y changera rien. Il est d’ailleurs frappant de voir qu’il n’y a jamais eu autant de coaches personnels et professionnels, pour toute activité réalisée par un être humain ! Le dirigeant a lui
aussi besoin d’un accompagnement personnalisé pour structurer et développer son business : l’expert-comptable est et restera l’interlocuteur N° 1 des dirigeants en ce sens.

Pour tout ce qui relève du contrôle de l’IA, la place de l’humain est essentielle. Plus on automatise, plus il est nécessaire de contrôler. Et plus on
contrôle – avec d’ailleurs des contrôles de plus en plus précis pour garantir la qualité de l’information –, plus on a besoin des hommes ! Il convient
de souligner que notre déontologie constitue un atout de taille. En matière de gestion des données, par exemple, le secret professionnel nous donne
un avantage concurrentiel vis-à-vis de professions non réglementées. On pourrait établir une analogie avec les professions médicales : très impactées
par l’IA, mais on ira toujours voir un médecin, qui apportera un regard humain et exercera son pouvoir de discernement à partir d’une information donnée par l’IA.

Vous soulignez les atouts de la profession, mais
quels sont ses points faibles au regard de l’IA ?

Au risque de passer pour un incurable optimiste, je n’en vois pas vraiment, même si, bien entendu, les professionnels du chiffre ne sont pas des techniciens de la donnée, des spécialistes de la data. Leur rôle n’est pas d’être des experts du code informatique. Il est donc impératif qu’ils soient bien formés s’ils veulent devenir des prescripteurs de solutions, par exemple en matière de systèmes d’information, d’outils de paiement en ligne, d’archivage électronique, etc.
À chacun, en fonction de ses envies et de ses capacités, de creuser tel ou tel domaine. Moi, par exemple, j’ai acquis des compétences spécifiques pour accompagner précisément les e-commerçants dans leur développement.
Ma seule crainte serait finalement que les professionnels du chiffre ne prennent pas suffisamment conscience de leur grande légitimité dans ce nouvel environnement digital. J’ai néanmoins pleinement confiance dans la capacité d’adaptation de nos métiers. Le Lab50 accompagne également dans ce changement.

Vous parlez d’humain, quelle place pour les soft
skills chez les professionnels du chiffre ? 

Règle numéro 1 : être curieux ! On a tous assez naturellement une curiosité comptable, sociale, juridique ou fiscale. Mais il faut aussi qu’on acquière
cette curiosité pour la technologie. Par exemple, un nouveau logiciel sort, est-ce qu’il va intéresser mes clients ?

Je parle de curiosité technologique mais on peut aussi évoquer la curiosité humaine, relationnelle. On est là au cœur des soft skills et, dans ce domaine, il y a de vraies marges de progrès. Tout le monde s’imagine savoir parler, communiquer, nouer des relations, mais dans les faits ce n’est pas
toujours vrai. Dans bien des cas, la relation avec le client peut être améliorée, l’accompagnement de l’humain doit être renforcé.
Les soft skills, c’est la primauté de l’humain sur la machine. On peut avoir un discours à la fois technophile et humaniste. Je crois que la technologie
rehausse le rôle de l’humain. Et le Lab50 a vocation à aider la profession à grandir dans ce nouvel environnement qui nous oblige à nous réinventer.


Synthèse du Lab50

Parue le 04 septembre 2019 – https://www.lelab50.fr/la-synthese-du-lab50/