La numérisation des flux allant bon train, le volume des données disponibles s'accroît. Le big data s'invite dans l'écosystème des professions du chiffre. Voici le premier volet de notre série sur le big data : enjeux et perspectives.
Expression aussi à la mode qu'énigmatique, le big data désigne les millions, voire les milliards, de données produites, échangées, analysées et stockées dans des entrepôts informatiques (data center), le tout suivant la fameuse règle des 3 V (volume, vélocité, variété). Selon le cabinet d'études IDC (lire L'Observatoire de la donnée IDC, septembre 2014), 122 exabytes (ou exaoctets en français, 1 exaoctet valant 1 milliard d'octets) de données ont ainsi été produites en France en 2013. Un volume qui devrait encore croître dans les entreprises selon cet institut d'études. Si la majorité n'est pas encore exploitée — loin s'en faut — il semble que peu à peu, l'analyse de la donnée pénètre tous les pans de l'économie. Y compris l'écosystème des cabinets d'expertise comptable. Signe des temps, l'Ordre des experts-comptables dédie son 70ème congrès au cabinet numérique. Voyons les enjeux du big data.
• Des statistiques plus éloquentes dans le respect de l'anonymat
L'expression “big data“ met les professions du chiffre mal à l'aise car elle évoque la commercialisation des données telle qu'elle se pratique dans le secteur du marketing avec plus ou moins de bonheur et dans un respect plus ou moins strict du cadre légal. "Le principe même de l'exploitation d'informations détenues par le cabinet d'expertise comptable est contraire au secret professionnel. Nous nous interdisons l'exploitation de données nominatives et les statistiques réalisées le sont à partir de données anonymisées", rappelle Jean Saphores, président de la commission Innovation technologie du CSOEC. Sans pour autant nier que le big data est une réalité. Alors schizophrènes les experts-comptables ? Prudents plutôt. "La profession doit informer l'économie et restituer l'information qu'elle détient mais en garantissant toute la confidentialité aux entreprises. L'exploitation des données est mise en œuvre pour renforcer le service. Des statistiques économiques vont être publiées car nous ne pouvons pas omettre la data", déclare Jean Saphores. Oui au big data, mais dans le cadre de la force collective de la profession et sans viser l'individu donc.
• Un audit plus exhaustif
Pour autant, la profession n'est pas encore familière du sujet. "Le big data ne fait pas partie de la culture de la profession pour deux raisons : Les données comptables sont peu volumineuses et les Cac ont une culture du sondage. Leur base c'est l'échantillon ! Or pour détecter des anomalies de faible occurrence il faut traiter de manière exhaustive les données ce qui nécessite la maîtrise d'outils adaptés au big data", explique Philippe Germak, professeur à l'ENOES (établissement d'enseignement supérieur privé, spécialisé en expertise comptable). Autre tendance, le développement de l'audit dans le secteur public. Les établissements publics ont désormais des Cac, le marché s'élargit, or le secteur public dispose de bases de données volumineuses.
• Une amélioration de la preuve comptable
Portés par la dématérialisation, les volumes de données augmentent. Les perspectives sont là. Fec (fichier des écritures comptables), facturation électronique, les obligations légales, en vigueur ou à venir, contribuent à créer davantage de données. Et ce n'est pas tout. "Les données comptables peuvent être enrichies et reliées aux faits générateurs de l'enregistrement comptable", explique Philippe Germak. Avec les nouvelles technologies, les experts-comptables peuvent même diversifier les supports et intégrer des images, des sons, etc. Autant de justificatifs venant à l'appui de telle ou telle écriture. Les experts seront possiblement invités à l'avenir à relier une série d'événements avec des preuves en cas de contestation. "On peut imaginer récupérer la base de données de l'entreprise cliente avec les fichiers de bons de commande, factures fournisseurs, commentaires vocaux", ajoute Philippe Germak. La démarche alourdit le travail de saisie mais peut répondre à une évolution des demandes des clients.
• Une liasse fiscale tournée vers l'avenir
La liasse fiscale permet de fournir une synthèse de la comptabilité et du passé. Un objectif qui pourrait s'enrichir. "Avec le big data, de part l'abondance des informations, elle a pour objectif d'établir des analyses statistiques et une projection sur l'avenir", selon Cyril Degrilart, expert-comptable, dirigeant du Cabinet DEGRILART (Paris, 3 collaborateurs). "La liasse telle qu'elle se présente aujourd'hui constitue un premier outil de pilotage pour les entreprises situées en France. En complément, il est intéressant de proposer à nos clients des tableaux de bord personnalisés et actualisés périodiquement. Ces indicateurs clairs et pertinents, choisis en fonction de leur coeur de métier, leur permettent de mieux piloter leur stratégie sur le court et le long terme. Si les indicateurs de performance parviennent à obtenir a minima le même niveau de détail, pourquoi ne pas imaginer une évolution du format de la liasse vers une base de données de type Fec ?", pointe l'expert-comptable.
Au total, le potentiel existe et va encore se développer. La mutation des cabinets vers le numérique étant déjà engagée, il n'y a plus qu'un pas à franchir pour mettre en œuvre des applications opérationnelles.
Entrer dans le big data bouleverse les us et coutumes des cabinets d'expertise comptable. A l'heure où apparaissent des logiciels SMAC (social, mobile, analytics, cloud), qui devraient vous aider à franchir le pas, voyons comment ces nouvelles méthodes de travail enrichissent vos missions.
1. L'expert-comptable mieux à même de garantir l'information financière
"Le volume d'informations collecté par l'expert-comptable augmente de manière considérable avec l'effet big data. Les clients transfèrent des fichiers provenant de leurs systèmes de gestion, permettant à l'expert-comptable de proposer des tableaux de bord de plus en plus pertinents. Parallèlement, la réglementation continue à évoluer au quotidien. L'expert-comptable a plus que jamais son rôle à jouer en tant que garant de la qualité de l'information financière !", estime Cyril Degrilart, expert-comptable CDEGRILART Expert (Paris, 3 collaborateurs).
2. L'expert-comptable s'affirme comme le conseil privilégié du chef d'entreprise
"L'environnement est de plus en plus complexe et évolutif, ce qui le rend parfois mal compris des clients du cabinet. Une fois encore, l'expert-comptable se positionne comme un conseiller privilégié du dirigeant, à la croisée des chemins : il reçoit des informations de qualité via des analyses sectorielles et un benchmarking performant, puis il les analyse pour conseiller son client", explique Cyril Degrilart. Enrichi par la confrontation et l'analyse des données, le conseil devient plus sectoriel, plus précis, plus pointu et s'administre en quasi temps réel.
"Alors que nous pensions il y a vingt ans que le cabinet proposerait du conseil à côté de la production, aujourd'hui cette prestation ne représente en réalité que 8% du CA des cabinets. Le virage n'a pas encore été pris, mais l'industrialisation des activités de production va libérer du temps pour développer des prestations de conseils à plus forte valeur ajoutée, l'exploitation de la data et la business intelligence vont y contribuer", prédit Bertrand Gall, directeur marketing profession comptable et TPE de Cegid.
3. L'expert-comptable propose de nouvelles missions
En marge du conseil, de nouvelles missions apparaissent comme l'accompagnement à la mise en place de nouveaux outils et process, la détection des risques et la proposition d'offre ciblée en fonction des besoins. "Nous présenterons en juillet un nouveau logiciel de business intelligence qui permettra aux experts-comptables de confronter les données de leurs clients aux données de gestion interne afin de faciliter la segmentation de leur clientèle et proposer des prestations complémentaires", annonce Bertrand Gall. Laurent El Ghouzzi, expert-comptable au sein du cabinet RGA-Sacor (30 collaborateurs) à Paris, teste depuis janvier cette solution baptisée Cegid Expert Intelligence. "Le big data est un angle d'approche nouveau pour nous, l'outil nous permet d'utiliser et de lire la donnée, il ouvre des perspectives en matière d'action marketing ciblée via une analyse sectorielle plus fine de notre portefeuille clients", témoigne-t-il. L'investigation va, par exemple, jusqu'à corréler l'évolution des CA des entreprises clientes à l'export avec la facturation du cabinet pour mettre en évidence les éventuels besoins en missions additionnelles.
4. L'expert-comptable soigne son image de marque
"J'ai moi-même dans ma clientèle de nombreux créateurs d'entreprise qui suivent mes publications sur les réseaux sociaux, constatent mon influence et m'interrogent", témoigne encore Cyril Degrilart. Mieux vaut profiter du big data plutôt que le subir ! Se positionner comme un acteur qui alimente le flux d'informations permet de soigner son image de marque et de développer le «brand content» du cabinet.
5. L'expert-comptable optimise le pilotage de son cabinet
L'analyse des données issues du portefeuille client confrontées à celle de la gestion interne du cabinet (production, heures travaillées, masse salariale répartie par typologie de mission, etc.) livre également une vision globale de l'activité. "Une nouvelle acuité, selon Laurent El Ghouzzi, pointant le niveau d'activité par associé, collaborateur, et qui devrait nous aider à prendre des décisions éclairées". Avec le big data, l'expert-comptable devrait avoir une vision de son activité plus proche de la réalité.
Publié le 5 mai 2015 dans Actuel Expert Comptable.