Le Big Data entre dans le monde de la fiscalité

Le Big Data lié au domaine de la fiscalité constitue une opportunité de missions à haute valeur ajoutée pour l’expert-comptable, d’une part dans une logique de renforcement du devoir d’information et de conseil, d’autre part pour anticiper et prévenir les risques d’un éventuel contrôle fiscal.

Ce dossier d’actualité traite dans une première partie du Big Data de l’administration fiscale puis des impacts pour les structures d’exercice professionnel.

Ce dossier a été rédigé par Cyril Degrilart expert-comptable, et Kada Meghrahoui, fiscaliste, au sein du Cabinet DEGRILART.

Le Big Data de l’administration fiscale

 

L’objectif affiché par l’administration fiscale est clair : lutter contre tous type de fraude fiscale en favorisant l’exploitation et le croisement des données des contribuables (entreprises et particuliers). Les autres pays européens développent actuellement des outils efficaces de lutte contre la fraude, avec un accroissement de cette tendance en France depuis 2014.

Utilisation des données dans une veille permanente

Dans un souci permanent de lutte contre la fraude fiscale, nos voisins européens ont mis en place un ensemble d’outils dont l’efficacité n’est plus à prouver, et qui ont permis de réaliser des gains d’opportunité significatifs.

Le tableau ci-dessous illustre quelques outils mis en place :
Tableau Big Data

En France, les actions en ce sens sont tardives et limitées par des contraintes juridiques fortes, plus contraignantes que nos voisins européens.

Un système de traitement de données relatif à la fraude fiscale, nommé « CFVR » (ciblage de la fraude et valorisation des requêtes) a été mis en place par l’administration fiscale en matière de datamining (exploration de données ou fouille de données) en mars 2014 et pour une durée de 6 mois, à des fins de test. Les informations sont disponibles dans un entrepôt de données unique, via l’extraction de données sur différentes applications (MEDOC, BODACC, COMPAS…) dont les informations correspondantes sont à la fois personnelles et professionnelles. Ce système avait pour ambition de favoriser les recoupements et de détecter les fraudes.

L’utilisation de cet outil doit faire face à une contrainte de taille : la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés). Outre le fait que cette autorité administrative permet de renforcer la sécurité et la confidentialité des données, l’administration fiscale doit respecter une limitation de la conservation des données à 4 ans (1 an en ligne puis 3 ans en archives). De plus, ces données collectées ne peuvent être exploitées que pour effectuer des signalements aux services fiscaux, et donc en aucun cas à déclencher des contrôles fiscaux !

A l’heure actuelle, le dispositif français est donc moins efficace technologiquement que celui de nos voisins. Ceci revient donc à laisser le soin aux inspecteurs des finances publiques de lancer des contrôles fiscaux en fonction de leur intuition et de leur sens de la recherche.

Le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC) conduit par ailleurs l’administration fiscale depuis ces dernières années à modifier la façon dont se déroule une vérification de comptabilité chez un contribuable.

Vers une évolution du contrôle fiscal

Le contrôle fiscal était jusqu’en 2014, plutôt réalisé en « face à face », entre l’inspecteur des finances publiques et le contribuable.

Même s’il était possible avant 2014 pour l’administration fiscale de récupérer des fichiers informatiques de l’entreprise, il est à présent obligatoire de mettre à disposition un fichier des écritures comptables (FEC) en cas de contrôle fiscal. L’administration fiscale peut ainsi collecter (et exploiter !) aisément ce grand-livre détaillé et mis en forme.

Elle peut procéder à une analyse de données approfondie en utilisant un logiciel interne à l’administration, dénommé « Alto 2 ». Ce logiciel analyse les données issues du FEC et favorise l’approfondissement des contrôles par les inspecteurs des finances publiques. Il permet de déceler les erreurs, discordances et inexactitudes susceptibles d’attirer l’attention de l’administration pour effectuer des rectifications. Celles-ci sont ensuite formalisées dans la proposition de rectification.

L’enjeu, au-delà du FEC, est de pouvoir détecter la fraude fiscale à travers l’utilisation massive de données complexes. Ces données disponibles sont sans liens évidents entre elles, mais si elles sont utilisées avec un outil performant, elles peuvent permettre de faire des recoupements décisifs. Il s’agit ici de traquer la fraude à grande échelle et non les fraudes de petites tailles.

Malheureusement, en l’état actuel de la situation politique en Europe, et en France notamment, l’échange de données à l’échelle européenne n’est pas encore possible, du fait de la protection et de la confidentialité des données.

Face au développement de ces nouveaux outils par l’administration fiscale, l’expert-comptable doit anticiper pour répondre efficacement à ces questions et proposer de nouvelles missions à forte valeur ajoutée pour le client et pour sa structure.

Les impacts pour les structures d’exercice professionnel

 

Les structures d’exercice professionnelles sont plus que jamais impactées, au même titre que leurs clients, par l’actuelle transition numérique. Le professionnel du chiffre, à partir de ses compétences financières avérées et reconnues, peut ainsi proposer des solutions adaptées et innovantes à ses clients.

Anticipation des futures questions de l’administration fiscale

Grâce au recours du Big Data, l’administration fiscale oriente davantage ses contrôles, notamment par secteur, par situation géographique etc… et bien entendu les questions qui en découlent. L’expert-comptable, dans le cadre de son devoir d’information et de conseil, est le conseiller privilégié du dirigeant pour anticiper au mieux cette situation.

Concernant le FEC par exemple, un contrôle formel peut être effectué, afin de valider la cohérence et la fiabilité du fichier transmis.

Le tableau ci-dessous reprend des exemples de contrôles réalisés :

Exemples de contrôles réalisés par l'administration fiscale

En anticipant l’analyse du FEC par le biais de ce contrôle formel, l’expert-comptable anticipe les difficultés liées à sa validité et évite un rejet de comptabilité à son client dans le cadre d’une vérification de comptabilité. L’expert-comptable peut également tester la validité du FEC sur le site de l’administration fiscale en téléchargeant par exemple le logiciel « Testcomptademat ».

Proposition de nouvelles missions pour l’expert-comptable

L’évolution du numérique en général, et du Big Data en particulier, se traduit par l’opportunité de nouvelles missions pour l’expert-comptable. Les missions étant nombreuses, nous n’en citeront que quelques-unes à titre d’exemple.

Missions stratégiques et commerciales. – L’expert-comptable peut assister les entreprises dans l’analyse comportementale de leurs clients actuels et potentiels, notamment dans le cadre des comportements et des habitudes d’achats sur internet. Ainsi, l’expert-comptable peut conseiller la structure dans la proposition d’un produit ou un service plus adapté, plus rentable, et au meilleur prix pour le client.

Fiscalement, le rôle de l’expert-comptable est fondamental dans le contrôle des déclarations à automatiser, en aval de la transaction. En effet, dans le cadre de la vente à un pays de l’union européenne, les flux des ventes doivent permettre de générer automatiquement les DEB / DES, ainsi que la validation de la réalité de l’opération intracommunautaire…

L’expert-comptable adopte ainsi une réelle mission de ciblage marketing pour son client, tout en renforçant son rôle stratégique dans la qualité et la sécurité des informations financières.

Missions FEC. – Le professionnel du chiffre, garant de l’information financière de ses clients, a bien entendu toute sa place dans la mise en place et le contrôle du FEC.

Le schéma ci-dessous présente les différentes formes de mission FEC :

 

Différentes formes de missions FEC

Pour les clients n’entrant pas dans le portefeuille des missions traditionnelles, il est possible de vérifier la validité du FEC ou bien de le produire si le client n’est pas en mesure de le faire. Il sera ensuite nécessaire d’en effectuer le contrôle formel avant envoi à l’administration fiscale.

Cette mission s’inscrit parmi les autres prestations sans assurance fournies à l’entité à l’issue desquelles l’expert-comptable n’exprime pas d’opinion. La mission telle que décrite dans la note explicative de l’Ordre des experts-comptables s’intitule « Mission de diagnostic du fichier des écritures comptables ».

Missions Big Data à partir des données fiscales. – L’expert-comptable peut mettre à profit l’accès aux données anonymisées de l’administration fiscale afin de pouvoir les utiliser et les exploiter dans le cadre d’une mission spécifique.

Ces données issues du Big Data fiscal permettent de comparer les données d’un secteur d’activité et d’une zone géographique avec les données du client. Le Conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables lui-même a développé un nouvel outil utilisant les données du Big Data nommé « Statexpert ». Les flux d’informations sociales et fiscales télédéclarés par les experts-comptables sont conservés dans une base de données (V.  D.O Actualité 22/2016, n° 16, § 1).

Avec cet outil, « la profession :

•     se dote d’un outil d’analyse et de benchmark macro-économique pour les entreprises,
•     éclaire les pouvoirs publics sur la situation économique des secteurs et des territoires,
•     et mesure en temps réel l’impact des politiques publiques sur les TPE-PME. » (Source : http://www.experts-comptables.fr/actualite/le-conseil-superieur-lance-statexpert)

Les opportunités de nouvelles missions, pour l’expert-comptable, liées au Big Data, sont donc nombreuses et variées.

Conclusion

 

Face à la compétition fiscale accrue entre les pays, l’efficacité des contrôles fiscaux passe par la capacité de l’administration fiscale à effectuer rapidement et efficacement des recoupements, notamment en utilisant les principes du Big Data. L’échange d’informations entre les Etats semble ainsi devenir une nécessité, d’autant plus que cette action serait grandement facilité à l’ère du numérique.

Il est nécessaire pour les services fiscaux de pouvoir automatiser rapidement et efficacement les opérations de vérification afin de déclencher les contrôles fiscaux avec plus d’efficacité et de réactivité. L’instauration du Big Data favorisera la sélection des contrôles fiscaux les plus pertinents en fonction de la qualité des recoupements et des informations disponibles.

Enfin, il est indispensable que la France rattrape son retard dans ce domaine par rapport à ses voisins européens afin de réduire « la facture de la fraude fiscale » pour réaliser des économies plus importantes.

Dans ce contexte, l’expert-comptable intervient donc naturellement comme un interlocuteur privilégié auprès de son client, notamment en matière de Big Data dans les contrôles fiscaux. Il conserve ainsi sa place de choix en tant que conseiller privilégié de son client en matière fiscale.  Le numérique offre également une source intarissable de nouvelles missions à forte valeur ajoutée pour le client et pour l’expert-comptable, que ce dernier se doit d’anticiper pour conserver son rôle majeur dans l’économie française.

 

Les auteurs

Cyril Degrilart est expert-comptable au sein du Cabinet DEGRILART.

Kada Meghraoui est expert-comptable stagiaire au sein du Cabinet DEGRILART.

Article paru sur le site Lexis 360 Experts-comptables et téléchargeable dans son intégralité (en format pdf) à l’adresse suivante :

http://www.tendancedroit.fr/lexis-360-experts-comptables-le-big-data-entre-dans-le-monde-de-la-fiscalite/


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