Les documents prévisionnels : un outil aux multiples facettes

Les documents prévisionnels qu’ils soient établis obligatoirement[1] ou de façon volontaire proposent une vision prospective de la situation des entreprises. L’expert-comptable est notamment sollicité à ce sujet lors de la constitution du Business Plan, à la création de la société. Ces documents peuvent également apporter une utilité forte pour le pilotage stratégique de l’entité. Comment les cabinets peuvent-ils s’organiser afin d’appréhender au mieux les risques et le principe de prudence liés à l’établissement de ces documents ?


Les réponses apportées par les documents prévisionnels

Les documents prévisionnels sont au cœur de la stratégie du dirigeant. Ils répondent à un besoin souvent non exprimé du chef d’entreprise qui recherche un outil fiable de prise de décision.

Une réponse aux attentes du client

Les documents prévisionnels répondent à trois attentes principales, en lien avec le cycle de vie de l’entité.

  • Lors de la création de l’entité, pour une viabilité du projet

Les documents prévisionnels apportent une vision globale sur la structure financière du projet en lien avec les idées de l’entrepreneur.
Le dossier prévisionnel constitue alors le business plan de l’entité, avec une partie littéraire présentant le business model et une partie financière prévisionnelle.

En pratique
Le client est sensible à la notion de rentabilité globale de son projet. L’expert-comptable évalue notamment les risques liés à une défaillance de trésorerie sur les premiers mois et les premiers exercices.
L’expert-comptable répond également aux attentes du client en matière de rémunération : à partir de quel mois l’entité sera apte à rémunérer le dirigeant ? Pour quel montant ? Quels sont les risques avec la situation personnelle du porteur de projet ?

  • Lors de la sollicitation des parties prenantes, pour faire grandir le projet

Au cours du cycle de vie de l’entité, le client peut avoir besoin d’un dossier prévisionnel pour le présenter à des prestataires et contacts externes. L’objectif est d’encourager ces parties prenantes à participer au développement du projet, tout en apportant une analyse réaliste des projections futures.

En pratique
Lors de cette sollicitation, il est important pour l’expert-comptable de connaître les destinataires du dossier prévisionnel, car chaque partenaire potentiel peut avoir des attentes différentes à la lecture du document. Par mesure de prudence, il est intéressant de notifier précisément dans la lettre de mission à quel public sera relayée l’information.
Le rôle de l’expert-comptable est donc double. D’une part, il propose à son client une vision réaliste de la situation future de son entité, et d’autre part, il aide les parties prenantes à prendre position sur le projet. Concernant les banques et les investisseurs par exemple, le dossier prévisionnel est en corrélation directe avec le choix du niveau d’investissement.

  • Lors d’une prise de décision stratégique, pour faire face aux nouveaux objectifs de l’entité

Le client peut enfin avoir recours à un dossier prévisionnel lors d’une prise de décision stratégique : mise en place d’une nouvelle gamme de produits, diversification des services proposés… Ce besoin d’information prospective peut naître tout au long de la vie de l’entité, de manière plus ou moins régulière selon la stratégie du dirigeant.

En pratique
L’expert-comptable apporte des éléments concrets aux associés ou aux actionnaires de l’entité. De par son jugement professionnel, au-delà de produire l’information prévisionnelle et de juger la qualité de l’information, il donne également son avis sur la faisabilité et la viabilité du projet.
Au cours de cette mission, l’expert-comptable peut proposer de mettre en place un modèle de suivi et de comparaison entre le prévisionnel et le réel. L’objectif est d’assurer que le projet est conforme aux attendus, ou que les nouvelles décisions prises par les décisionnaires ont les effets escomptés.

De manière générale, tous les dossiers prévisionnels sont par nature différents, en fonction du projet mené, de sa maturité, du secteur d’activité, des besoins spécifiques du dirigeant… Des outils logiciels sont disponibles sur le marché pour aider le professionnel à réaliser qualitativement sa mission, dans le respect des normes et de sa déontologie.

Un contenu adapté aux besoins et à la vision prospective du client

En dehors des documents prévisionnels établis dans le cadre de la prévention des difficultés des entreprises, le dossier prévisionnel peut recouvrir deux types d’informations :
• les prévisions, qui sont basées sur les hypothèses de réalisation future les plus plausibles ;
• les projections, qui sont basées sur des hypothèses théoriques d’évolution.

Que recouvre le dossier prévisionnel ?

  • Les tableaux prévisionnels financiers classiques

On distingue trois tableaux prévisionnels financiers classiques à mettre en place dans le dossier prévisionnel :
• le bilan prévisionnel, rendant compte de la situation patrimoniale de l’entité ;
• le compte de résultat prévisionnel, proposant une estimation des produits et des charges futurs ;
• le tableau de flux de trésorerie prévisionnel, ou budget de trésorerie, illustrant les potentiels risques de gestion en lien avec les disponibilités.

En pratique
La principale zone de risque que l’expert-comptable doit circonscrire concerne la qualité de l’information source. En effet, si les comptes annuels historiques de l’entité ont été réalisés par le cabinet ou par un confrère prédécesseur, le professionnel pourra s’appuyer sur ces informations pour assurer une projection sur le futur.
L’expert-comptable apporte toute sa compétence dans la réalisation ou le contrôle des informations, mais également son jugement professionnel sur les projections proposées par l’entrepreneur.

  • Les tableaux prévisionnels financiers adaptés aux besoins spécifiques de l’entité

Une infinité d’informations et de tableaux peut être mise en place dans le dossier prévisionnel, afin de répondre au mieux aux objectifs fixés par le client.

Exemple
• Le tableau de financement prévisionnel, ou plan de financement prévisionnel : pour étudier les potentielles évolutions des besoins et des ressources de l’entreprise, et donc l’équilibre général du projet. Lors d’une recherche financement par emprunt, l’évolution du besoin en fond de roulement sera étudiée, il s’agit d’un indicateur financier analysé fréquemment par les établissements de crédit.
• Le tableau des investissements prévisionnels : pour obtenir une synthèse de la stratégie d’investissement de l’entrepreneur. Ce tableau peut être présenté par nature d’investissements : incorporel, corporel, et financier. Selon le besoin du client ou de ses partenaires, la répartition des investissements peut favoriser une prise de décision.
• Les ratios financiers prévisionnels : pour conseiller le client dans son autonomie financière et ses objectifs de liquidité et de rentabilité.

Les tableaux financiers prévisionnels regroupent les éléments chiffrés du dossier. De manière générale, il est souvent très intéressant d’adjoindre une partie littéraire pour étayer et commenter les hypothèses et les positions.

  • Les informations littéraires adaptées à la situation de l’entité

La partie littéraire du dossier prévisionnel est variable selon les attentes du client et la maturité de l’entité. A titre d’exemple, les paragraphes suivants peuvent être ajoutés :
• résumé de l’historique de l’entité, du projet et des développements futurs ;
• présentation détaillée de l’offre proposée et de ses objectifs ;
• analyse du marché et de la stratégie de l’entité ;
• présentation des équipes et des modalités juridiques.

En pratique
Une vigilance s’impose dans l’évaluation de la cohérence et la vraisemblance des informations fournies par le client. Les informations littéraires constituant un socle de justification important pour les parties prenantes, celles-ci doivent refléter une réalité future probable, en lien avec l’environnement de l’entité.
Afin d’étayer la partie rédactionnelle du dossier, l’expert-comptable peut tout à fait apporter des compléments d’information pertinents en lien avec les informations financières présentées ci-dessus. Il peut également s’appuyer sur
des méthodes reconnues d’analyse de modèle économique, telle que la méthode Canvas. Enfin, il est important de bien cibler dès le démarrage de l’intervention qui est en charge de la recherche d’information, de la rédaction du contenu et de l’analyse de la pertinence par rapport à l’environnement.

La constitution du dossier prévisionnel nécessite également une organisation méthodologique précise du cabinet d’expertise comptable.

La méthodologie d’élaboration et de suivi du dossier prévisionnel

La réalisation du dossier prévisionnel suit la méthodologie classique des autres prestations de l’expert-comptable.

La préparation de la mission et approche par les risques

Le professionnel a le choix de proposer principalement deux catégories de mission :
• la production du dossier prévisionnel et son suivi en aval, entrant dans le champ des autres prestations ponctuelles de l’expert-comptable ;
• l’examen d’informations prévisionnelles, se situant parmi les missions d’assurance de niveau modéré aboutissant à une opinion, conformément à la Norme Professionnelle NP3400.

En pratique
Pour ces deux interventions, l’expert-comptable prépare sa mission en étudiant l’utilisation et les destinataires prévus de ces informations. Il se forge également son opinion sur le caractère raisonnable des informations et hypothèses formulées par le client, aboutissant à la production du dossier financier prévisionnel. Dans le respect du principe de prudence, si le professionnel estime que les hypothèses retenues par le client sont irréalistes, il ne peut pas répondre favorablement à la mission.
La préparation de la mission nécessite également la rédaction d’une lettre de mission spécifique. Au-delà des informations classiques du contrat, une attention particulière est à prévoir au sujet de la responsabilité du professionnel. Afin de limiter les risques dans la production ou l’examen des informations, la lettre de mission peut tout à fait préciser que la responsabilité du client est totale quant aux hypothèses retenues, et que celui-ci est en charge de communiquer toute information pertinente pour élaborer le dossier prévisionnel.
La prise de connaissance de l’entreprise et de son environnement est également un point important de la préparation de la mission. Elle consiste notamment à étudier dans quelle conditions les données historiques ont été produites.
L’expert-comptable établit une cohérence entre les informations financières historiques et les éléments prévisionnels. S’il constate une anomalie dans l’élaboration des comptes historiques, ses constats auront une incidence sur le niveau de risque lié à la mission, et donc sur son opinion s’il y a lieu.

Le professionnel étudie enfin le niveau de risque lié à la réalisation ou à l’examen des informations prévisionnelles. Il se pose notamment les questions suivantes :

Questions

Avis de l’expert-comptable

Quel est le risque lié à la fiabilité des informations sources historiques ? L’expert-comptable étudie le processus de production des comptes des exercices précédents afin de s’assurer qu’il peut, ou non, les utiliser en tant qu’information fiable.
Quel est le risque que les estimations prévisionnelles proposées par le client soient incohérentes ? L’expert-comptable évalue les hypothèses du client en fonction du marché et du secteur d’activité de l’entité.
Quel est le risque de constater une incohérence entre les états financiers individuels ? Lorsque la mission a pour objectif de réaliser ou de vérifier plusieurs tableaux prévisionnels, l’expert-comptable s’assure que les interactions entre les éléments ont bien été prises en compte.
Quel est le risque d’une incidence significative sur les résultats dans les domaines particulièrement sensibles aux variations ? L’expert-comptable vérifie les bases de calcul et la cohérence des formules appliquées, notamment au niveau des emprunts et de leurs taux d’intérêt.

L’expert-comptable analyse les différents risques dans la réalisation et/ou l’examen des travaux.

La réalisation du dossier prévisionnel et la restitution des travaux

La correcte réalisation du dossier nécessite la constitution d’un dossier de travail. Au-delà du respect des normes de qualité, l’expert-comptable doit pouvoir justifier les positions et hypothèses prises et se couvrir contre les risques de mise en cause.
Nous prendrons comme exemple l’évaluation du chiffre d’affaires prévisionnel d’une entité ALPHA. Le chiffre d’affaires reste bien entendu un maillon fondamental de l’analyse prévisionnelle. Il constitue notamment une base de calcul pour l’évaluation de nombreuses charges afférentes, jusqu’au calcul de la capacité d’autofinancement.
Le professionnel réalise les informations financières prévisionnelles en trois étapes.

  • Etape 1 : Collecte des informations nécessaires à l’établissement des informations prévisionnelles

L’expert-comptable réalise, dans un premier lieu, un entretien détaillé avec le dirigeant, afin de collecter toutes les informations dont il a besoin pour réaliser sa mission, à savoir :
• les données chiffrées historiques, s’il y a lieu ;
• l’analyse économique du secteur et du marché, et ses impacts potentiel pour l’entité ;
• les prévisions et projections du dirigeant ;
• toute information ou document permettant au professionnel d’affiner son analyse.

Exemple
Dans le cadre de l’évaluation du chiffre d’affaires prévisionnel de l’entité ALPHA, l’expert-comptable collecte les comptes de résultat, balances et fichiers FEC des exercices précédents (s’il y a lieu).
Il étudie les analogies avec les concurrents, la conjoncture économique du secteur et la sensibilité de l’entité par rapport à son marché. Il évalue également la maturité de l’entité et les objectifs de parts de marché qu’elle espère atteindre.

  • Etape 2 : Traduction des hypothèses

La traduction des hypothèses relève d’une valeur ajoutée importante pour l’expert-comptable qui traduit financièrement les objectifs pluriannuels des dirigeants.
Cet exercice comporte des risques, notamment une mauvaise interprétation des informations fournies par le client. Le professionnel doit nécessairement documenter ses travaux et faire valider toutes les interprétations qu’il a pu prendre.

Exemple
Dans l’évaluation du chiffre d’affaires de l’entité ALPHA, l’expert-comptable traduit le niveau espéré de développement des ventes. Par principe de prudence, il peut y affecter un coefficient de minoration, en fonction des
risques encourus et des caractères non pré-
visibles. Ce niveau de chiffre d’affaires définit ensuite les ressources humaines et financières nécessaires pour le réaliser, les investisse-ments à acquérir et leurs financements.
L’expert-comptable peut également s’intéresser aux nouvelles technologies liées au big data et à l’intelligence artificielle. Les nouveaux outils (Power BI, Python…) permettent au professionnel de renforcer les capacités de projection et émettent des résultats souvent très appréciés du client.

  • Etape 3 : Rapport de fin de mission

Le rapport peut prendre deux aspects différents, selon la typologie de la mission. Si la mission consiste à établir le dossier prévisionnel, il peut prendre la forme d’un compte-rendu des travaux, en complément du dossier prévisionnel.
Si la mission consiste à réaliser un examen d’informations prévisionnelles, il convient d’appliquer la Norme Professionnelle NP3400 qui propose quatre exemples de rapports : sans observation sur des prévisions budgétaires, sans observation sur une projection d’informations financières, avec observation sur les hypothèses et avec conclusion défavorable sur les hypothèses.

A noter : l’expert-comptable ne doit en aucun cas réaliser une restitution sous forme d’attestation particulière, selon la Norme Professionnelle NP3100 car les informations prévisionnelles sont exclues du champ de cette norme et le professionnel ne se prononce pas sur l’exactitude ou la possibilité de réalisation des prévisions.


L’utilité des documents prévisionnels n’est plus à démontrer. Outre qu’ils permettent d’établir un comparatif entre le réel et le prévisionnel, il s’avère un support indispensable pour tout dossier de demande de financement ou de décision stratégique d’investissement.

 

[1] Dans le cadre de la prévention des difficultés des entreprises, les sociétés commerciales sont tenues d’établir, si l’effectif dépasse 300 salariés ou si le chiffre d’affaires net dépasse 18 M€, un compte de résultat prévisionnel, un plan de financement prévisionnel, une situation de l’actif réalisable et disponible et du passif exigible ainsi qu’un tableau de financement.

 

Article rédigé par Cyril Degrilart, expert-comptable

Paru dans la Revue Française de Comptabilité n° 528 du mois de février 2019 – http://revuefrancaisedecomptabilite.fr/les-documents-previsionnels-un-outil-aux-multiples-facettes/